Les "Pieds Noirs"...
la mémoire d'une Algérie Française.
Arrivée un jour de décembre de l'année 1962, comme des milliers d'autres Français d'Algérie, sur les quais de Marseille, Camille Bender avait couché sur le papier ces quelques lignes. Elles nous ont été transmises par Joselyne Mas, qui avait effectué avec sa famille le même traumatisant trajet.
- triste rappel de l’accueil réservée aux Français d'Algérie...
par les socialites, et de la trahison préméditée du Général De Gaulle -
On nous appelle "Pieds
Noirs"
On nous appelle "Pieds Noirs"
et ces deux mots jetés
Péjorativement, souvent comme une
insulte,
Sont devenus pour nous bien plus qu'un sobriquet.
On nous appelle "Pieds Noirs" avec cette nuance
De dédain, de mépris attachée à ces mots
Qui pour
nous, ont un sens de plus grande importance.
On nous
appelle "Pieds Noirs", nous acceptons l'injure,
Et
ces mots dédaigneux sont comme un ralliement
Comme un drapeau
nouveau, comme un emblème pur.
On nous appelle "Pieds
Noirs", il y a sur nos visages
Le regret nostalgique
des horizons perdus,
Et dans nos yeux noyés, d'éblouissants
mirages.
On nous appelle "Pieds Noirs", il y a
dans nos mémoires
Le souvenir joyeux des belles heures
d'autrefois,
De la douceur de vivre, et des grands jours de
gloire.
On nous appelle "Pieds Noirs",
ami, te souviens-tu
De nos champs d'orangers, de nos coteaux de
vigne,
Et de nos palmeraies, longues à perte de vue ?
On
nous appelle "Pieds Noirs", mon frère, te souvient-il
Du
bruyant Bab-el-Oued, d'El Biar sur sa colline,
Des plages
d'Oranie, du glas d'Orléansville ?
On nous appelle
"Pieds Noirs", là-bas dans nos villages,
Qu'une
croix au sommet d'un clocher dominait,
Il y a un monument
dédié au grand courage.
Les
nommait-on "Pieds Noirs" les morts des deux carnages
De
14 et 39, les martyrs, les héros ?
Qui les honorera maintenant
tous ces braves ?
On nous appelle "Pieds
Noirs", mais ceux qui sont restés,
Ceux de nos cimetières
perdus de solitude,
Qui fleurira leurs tombes, leurs tombes
abandonnées ?
On nous appelle "Pieds Noirs"
nous avions deux patries,
Harmonieusement si mêlées dans nos
cœurs,
Que nous disions "ma
France", en pensant "Algérie"
On nous
appelle "Pieds Noirs" mais nous sommes fiers de l'être.
Qui donc en rougirait ? Nous ne nous renions pas
Et nous
le crions fort, pour bien nous reconnaître.
On nous appelle "Pieds
Noirs", nous nous vantons de l'être
Car nous sommes
héritiers d'un peuple généreux
Dont l'idéal humain
venait des grands ancêtres.
On nous appelle "Pieds
Noirs" qu'importe l'étiquette
Qu'on nous a apposée sur
nos fronts d' exilés,
Nous n'avons pas de honte, et nous
levons la tête.
Ô mes amis "Pieds
Noirs" ne pleurez plus la terre
Et le sol tant chéris qui
vous ont rejetés,
Laissez les vains regrets et les larmes amères
CE PAYS N'A PLUS D'ÂME, VOUS L'AVEZ EMPORTÉE.
Camille
Bender
Décembre
1962